Premiers jours déroutants en Lituanie (fin juin-début juillet)
Au creux de la nuit, je tâte les alentours. Je ne suis ni dans ma tente, ni dans une grange, encore moins dans une école. Après quelques secondes, je m’interroge : Comment diable ai-je atterri dans cette maison de maître ? Les souvenirs s’entrecroisent...
Ma dernière nuit en Pologne avait été enchanteresse; sous un pont à l’entrée du parc national de Biebrzanski. La rivière regorgeait de poissons, les grenouilles des marais la jouxtant coassaient, les interstices abritaient quelques familles de pigeons aux battements d’ailes bruyant. Des escadrilles de cygnes et de canards patrouillaient le long des côtes pendant que des castors se chamaillaient sur l’autre rive et s’évanouissaient à mon premier mouvement.
Une fine pluie me tire de la grasse matinée qui semblait m’être promise : le pont, en bois, n´était pas imperméable. Je pars ainsi de bonne heure à l’assaut de la frontière lituanienne. Comme le temps est maussade et que les vastes forêts succèdent aux champs et aux prairies, je ne cesse de pédaler évitant ainsi d’être rattrapé par la monotonie et le froid. Après 170 kms mon chemin croise l’ancien hôtel étatique d’Alytus qui me permet d’éviter la douche froide. Ma tente prend l’eau et il est désormais certain qu’elle ne verra jamais la Mongolie, ni même l’Estonie.
Le lendemain, revenant du magasin avec mon litre de lait sous le bras, je m’arrête un instant pour écouter un concert catholique sur la place du marché. Une discussion s’amorce avec une organisatrice sur le sens de la vie et les 144 000 chanceux qui seront sauvés au jour de l’apocalypse. (Le second thème a été choisi par mes soins, la jeune femme faisant contre mauvaise fortune bon cœur). Jurate, la sœur jumelle de mon interlocutrice, est étonnée par mes connaissances et voit en moi un futur missionnaire. Prêcheur itinérant m’écriais-je ! Voilà, enfin une occupation compatible avec le voyage à vélo ! Comme l’ambiance de la manifestation est agréable je décide de m’y attarder quelques jours.
L’hôtel me refoule. Toutes les chambres ont été réservées pour l’occasion. Je trouve refuge dans la salle de mathématiques d’une école de la ville, réquisitionnée pour héberger tous les jeunes venus des quatre coins du pays. Mais un invité de mon rang ne pouvait errer ad eternum dans les couloirs d’un bahut et c’est tout naturellement que les amis d’une amie me convient dès le jour suivant dans leur maison de maître.
Un goûter est organisé par un voisin dans son superbe espace boisé. Le hasard a voulu qu'il rencontre et invite quelques jeunes du chœur se produisant lors de la manifestation. On chante, mange, boit et rit. On se croirait à la campagne, tant les maisons éparses semblent perdues dans une vaste forêt. Le centre-ville n’est pourtant qu’à deux kilomètres. Avec leurs larges champs et leurs forêts profondes, les Baltes ont de l’espace et en profitent.
Hommes et femmes se scindent en deux groupes. Une joute musicale se préparent « Où es-tu ma femme, où es-tu mon mari ? » tonne le refrain. Chaque groupe doit, à son tour, trouver une réplique chantante. La soirée se termine dans les éclats de rire généraux.
Le catholicisme se découvre ici sous un autre jour. Les églises fonctionnaient au temps communisme, moins souvent fermées et détruites qu’en Russie. Mais la présence à l’Eglise était à éviter, sauf pour qui tout espoir de carrière était déjà perdu. Pour se faire baptiser ou célébrer une fête religieuse, il valait mieux choisir une Eglise éloignée pour ne pas risquer un licenciement ou la fin de l’avancement. A la suite de la chute de l’URSS, après un demi-siècle d’athéisme, le retour du religieux se fit en force, signe d’une liberté retrouvée. Ce combat pour la liberté religieuse se ressent encore. Le catholicisme est ici plus perçu comme une chance que comme un acquis. Les expressions de foi sont valorisées et elles ne se limitent pas à quelques aspects extérieurs. Confessions, adorations et chants liturgiques sont courants.
Des moines français établis en Lituanie participent à la manifestation. Ils ont porté leur habit avec fierté en France, mais celui-ci était une tare, un élément de marginalisation, toléré par la loi, mais vu par tant de cercles laïcisants comme une hérésie, au mieux un archaïsme. Ici, leur choix est socialement respecté et valorisé. L’habit de moine est perçu comme un signe de refus de soumission, tant au communisme qu’au capitalisme triomphant.
La religion a d’ailleurs fait son retour à l’école. Jurate est enseignante de catéchisme en classe secondaire. Pour pouvoir enseigner, elle doit obtenir, chaque année, une licence qui atteste de ses bonnes mœurs. Les enfants peuvent choisir entre religion et philosophie. Mais des élèves venant de familles foncièrement athées veulent éviter les cours de philosophie réputés plus difficiles. Jurate se retrouve alors confrontée à une opposition féroce forgée au son de l’enclume du communisme.
Je reprends ma route en direction de Vilnius. Une femme d’une soixantaine d’année, Katia, me hèle depuis sa maison qui danse au son d’un rock endiablé. Elle m’offre un pot perdu de viande, du pain et du rhum. Elle parle russe, lituanien et polonais. Son père était Biélorusse et les raisons de sa maîtrise de l'allemand demeurent un secret de famille. Katia avait habité chez sa fille en Espagne pendant trois ans, son fils habite Londres, elle a de la famille en Amérique et est originaire de Géorgie. Elle a grandi en Biélorussie avant d'atterir mystérieusement dans ce coin perdu de Lituanie, après son mariage. Elle parle une dizaine de mots d’allemand, d’espagnol, d’italien et d’anglais pour brouiller un peu plus les cartes.
Katia veut me faire une surprise et commence alors un curieux manège. A la manière d’une modèle, elle part puis revient plusieurs fois, vêtue de différents uniformes militaires. Ce défilé est brutalement interrompu par l’imbécile du village qui, passant par là, ne goûte guère à la plaisanterie et forçe Katia à se changer. Voulant nous impressionner par ses capacités linguistiques, il se met à turbiner quelques mots de français à la façon d'un disque rayé. Ses problèmes d’élocution et les engueulades répetées avec ma protectrice le rendent de toute façon inaudible. Je finis par comprendre qu’il s’agissait de ses uniformes et qu’il garde un mauvais souvenir de ses années en Tchécoslovaquie avec l’armée rouge. Mais si ses habits étaient amassés dans les armoires de Katia, il ne pouvait être qu'un simple passant!
Me prenant discrètement à parti, Katia cherche à obtenir mon approbation sur le choix de son amant. Surpris, je réponds des plus hypocritement pour ne pas la froisser: "Il est très bien. Il a de bonnes connaissances linguistiques, il est musclé, il ne paraît pas son âge et il est attentionné". Le mensonge était difficile à faire avaler, mes arguments étant engloutis par sa lourde voix qui beuglait un français déchiqueté.
Après des salutations exubérantes, je repars avec les plages de la mer baltique en ligne de mire où j’ai rendez-vous avec mes parents.
Derniers commentaires
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C'est beau, c'est plein de vie et d'humanité; merci pour le partage de tes voyages.
Lieber Dimitri.
Herzlichen Dank für deinen Besuch. Du hast Spuren bei uns hinterlassen...
Liebe Grüße
Jasmin
Hello