Depuis mai 2015, sur les routes du monde au gré des vibrations d'âmes ...
J’avais à cœur d’initier Altaï au voyage à vélo. Aussi suis-je heureux de la revoir, débarquée tout droit de Mongolie, à l’aéroport de Colombo, capitale du Sri Lanka.
En montant la première côte, un autorickshaw, nous embrume méchamment. Je me dis : « mince, ça commence mal ». À haute voix, je lui demande : « Pas trop de fumée ? ». Il n'y a pas de fumée ici me répondit-elle sans hésiter. Comparé à la pollution d’Oulan-Bator en hiver surtout produite par les yourtes chauffées au charbon, le pot d’échappement d’un tuk-tuk (nom informel souvent donné à ce véhicule) apparaît quantité négligeable.
Quand Altaï se décale pour éviter un obstacle, elle ne tourne jamais la tête vers l’arrière. Elle part du principe que la personne derrière elle doit faire attention comme il est d’usage en Mongolie (et aussi au Sri Lanka). Mais, nous sommes à vélo et la loi du plus fort s’applique. Le rétroviseur que je lui installe ne sera pas de trop.
Souvent, nous longeons tour à tour rizières, champ de tabac, lacs artificiels pour l’élevage de poissons et de crevettes, petits marais accueillant de magnifiques échassiers et de superbes lotus, plages de sable fin ornées de cocotiers. Première découverte de taille : la mer. Altaï avait déjà vu la Manche depuis l’Angleterre, mais n’avait pu s’y baigner. Pour elle, jouer avec les vagues et le sable est une première.
Nous avons appris que la saison humide avait commencé sur la côte est. Altaï désirait voir la pluie, denrée rare en Mongolie. Ce fut une déception. La mousson que l’on nous avait promise, demeura aux abonnés absents.
Les faciès mongols et chinois se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Altaï, par orgueil ethnique, pense que les différences sautent aux yeux., mais, quand nous étions en Chine, tout le monde la prenait pour une Chinoise. Le check-in du vol pour Oulan-Bator à l’aéroport de Pékin avait rendu la nuance entre les deux faciès limpides. Les Mongols ont la peau beaucoup plus basanée. D’ailleurs, ils se considèrent généralement comme brun. Un Occidental comme moi est considéré comme un jaune au long nez (Il faut s’imaginer la rencontre, il y a fort longtemps, de peuplades mongoles avec des Russes aux yeux bleus et aux cheveux blonds, donc jaune, comme le blé). Altaï téléphone depuis le Sri Lanka. Sur Skype, sa famille rigole : tu es devenue « noire » lui disent-ils. Vu à quel point elle a bronzé sous le soleil des tropiques, ils n’ont pas tout à fait tort. Le rêve d’un bon nombre de Suisses, n’est pas partagé par Altaï. Un nomade du fond des steppes obtient cette couleur en passant ses journées à courir après ses chèvres. La modernité et la réussite devraient mener vers d’autres horizons, semble-t-il.
Heureusement (j’ai bien dit heureusement), j'ai pris un coup de soleil. Je pensais être à l’ombre d’un palmier, mais ses feuilles étaient trop en hauteur pour vraiment me protéger. En une heure, j'étais grillé. Ma peau restera rouge plusieurs jours puis pèlera. Voilà le résultat d'une peau blanche, dis-je à Altaï, pour le coup, un peu fâchée contre elle-même.
Chez des copains, Altaï découvre la noix de coco. Elle n’en avait jamais vue. Elle a été surprise par la première couche verte fort épaisse, la bourre, et que celle-ci abrite une coque brune et chevelue. Elle découvre ainsi l’origine de l’eau de coco des berlingots et goûte pour la première fois le pulpe, trop dur à son goût.
Je suis à mon tour étonné lorsque notre copain prend une noix dont la germination a déjà commencé et la coupe en deux. Le germe occupe tout l’espace. Imprégnée par l’eau de coco, la chair a ramolli. D’un blanc cristallin un peu sale, je la trouve beaucoup plus sucrée et savoureuse (bien qu’il n’y ait plus de lait à boire).
Le spectacle n’est pas terminé. Le cocotier d’une autre espèce est assez petit pour que le maître des lieux atteigne facilement un de ses bourgeons terminaux. La branche à peine coupée, elle est déjà dans nos mains avec un liquide blanchâtre à l’intérieur : le raa en singhalais. Il s’agit du vin de palme c’est-à-dire la sève de l’arbre et non une réserve d’eau pour la future noix de coco comme je l’avais cru. À peine récolté, le raa est encore peu alcoolisé. Je le trouve très rafraîchissant. Nous nous risquons à le comparer avec une boisson nationale de Mongolie, l’aïrag (lait de jument fermenté), lui aussi blanc, alcoolisé et difficile à trouver en Europe.
Heureusement, la comparaison ne s’arrête pas là. Altaï et les Sri Lankais entretiennent une proximité culturelle pour peu que nous remplacions les steppes par la mer, toutes les deux de grandes étendues en apparence désertes. Au Sri Lanka, malgré une importante population, l’ambiance décontractée des îles subsiste. En Mongolie, les steppes renvoient aussi une quiétude qui tranche avec la frénésie du monde contemporain. Les deux pays ont une forte capacité à être autonome. Les Mongols peuvent survivre grâce à leurs troupeaux. Les Sri Lankais s’appuient sur la richesse de leurs écosystèmes (produits de la mer, fruits qui poussent tout seuls…). Les concitoyens d'Altaï sèchent la viande pour la conserver. Les autochtones font ici la même chose avec le poisson.
Nous sommes invités par Wassanta. Il habite une maison à cinq cents mètres de la plage perdue entre les palmiers. Wassanta a travaillé une dizaine d’années loin de sa famille à Dubaï et en Arabie saoudite. Maintenant, il vit dans son village d’origine. Il travaille à Colombo à deux heures de route (à cause des bouchons) dans l'import-export. La semaine, ses horaires sont indécents. Ils se réveillent parfois à cinq heures du matin pour rentrer chez lui à onze heures du soir. Il ne voit ses enfants qu’endormis. Comme nous sommes le week-end, il a tout le temps pour nous accueillir.
Au Sri Lanka, j’ai toujours peur de trop manger, car, de ce que j’ai vu, les hôtes refusent de s’attabler avec leurs invités. Ils se rassasieront plus tard avec ce qu’il reste. J’ai toujours de la peine à refuser d’être encore servi quand on me le propose cinq fois. Je suis un cycliste affamé, c’est si bon et j’aime tant manger. Nous insistons pour que Wassanta s’assoit avec nous. Nous y parvenons, mais il prétextera n’avoir pas faim (peut-être a-t-il mangé avant ?)
Un plat ressemble fort au tsuivan des Mongols. Il s’agit du kothu. Le cuisinier produit des bruits intenses et secs en le coupant. La proximité se limite cependant au goût et à un accompagnement de légumes et de viande. La base du tsuivan est constituée de nouilles alors que le kothu se fait à partir de pain plat (qui découpé ressemble à des pâtes). Je fais une fixation sur le riz au curry. Peu habituée aux épices, Altaï résiste bien, mais les Sri Lankais sont parmi les maîtres en la matière (bien plus que les Bangladeshis ou les Népalais).
Un soir, en pleine rue, Altaï m’a fait un peu honte. Elle a donné de l'argent à un mendiant qui tenait à peine debout sur sa canne, en jetant un billet par terre. C'était très important pour elle d’agir de la sorte afin d’éviter un contact corporel et risquer de perdre son buyan terme mongol difficilement traduisible qui signifie chance, bonne fortune.
Altaï aime toutes les religions, sauf l'islam à cause des restrictions. Elle ressent l’oppression des lois et la crispation autour de la sexualité de la femme. Acceptant comme une évidence le chamanisme et les religiosités mongoles, elle prie dans les temples bouddhistes (religion de sa famille), dans les églises (sa spiritualité d’adolescente) et découvre l’hindouisme (elle est fascinée par les rituels et l’engouement des fidèles).
Les femmes mongoles sont, traditionnellement, les plus émancipées d’Asie (peut-être avec les peuples situés en Extrême Orient russe). Elles ont l’habitude de s’occuper seules de leur ménage pendant que leur mari sillonne les steppes des jours durant. Aucun livre saint n’y entérine des principes du Moyen-Age.
Altaï ne s’offusque pas de la position des femmes sri lankaises souvent en retrait et cantonnées à la sphère familiale. Leur mari s’occupe de ramener un salaire. L’épouse prend soin de la maisonnée. À chacun sa tâche ! Nous croisons et saluons des Musulmanes (une petite minorité habite dans le pays) habillées de la tête au pied et dissimulant leur chevelure sous un voile par trente-cinq degrés. Altaï a chaud et s’imagine la souffrance de ces dames.
Altaï n’est pas faite pour un climat chaud et humide comme au Sri Lanka. En descendant de l’avion, elle a encaissé une différence de température de soixante degrés. Dans un hôtel, la climatisation qu’elle avait enclenchée ne semblait pas fonctionner. Au milieu de la nuit, je m’intéresse à l’appareil. Elle l’avait mis sur +30 degrés au lieu de +16 : « Ah ! Je pensais qu’il fallait choisir entre -30 et -16 s’excuse-t-elle. Je croyais avoir mis le plus froid ! »
Altaï ne fait pas dans la vierge effarouchée, chère à nos féministes. Quand une Hollandaise, la cinquantaine, (qui d’ailleurs cherchait à me draguer) veut traverser une gare en notre compagnie parce qu’elle craint le regard des hommes, Altaï demeure dubitative. Elle ne trouve rien d’étonnant ou de choquant qu’un faciès inhabituel puisse surprendre ou qu’un homme désire la séduire. Pour elle, c’est dans l’ordre des choses.
Sur la route, les chiens pullulent. Ça tombe mal pour Altaï qui en a peur depuis qu’elle s’est faite mordre au mollet dans son enfance. Les chiens sri lankais sont fuyants. Ils en ont pris plein la gueule dans leur vie et craignent de se faire battre. La plupart du temps, ils dorment, pour économiser l’énergie. Altaï ne comprend pas qu’ils ne soient pas euthanasiés. En Mongolie, les chiens ont toujours un maître. Ils sont le plus souvent dressés pour surveiller les troupeaux.
Altaï a paniqué lorsque, sur une chaussée en terre, deux chiens, inoffensifs et peu agressifs, sont venus à notre rencontre et ont aboyé à notre passage. Elle a perdu l’équilibre et est tombée de son vélo, chute heureusement sans gravité. Depuis, elle a appris à parler durement aux chiens errants sri lankais pour qu’ils ne s’approchent plus. C’est toujours un plaisir de l’entendre les gronder en mongol.
Altaï aime voyager à vélo, visiter les temples, observer les animaux, perdre du poids, avancer tranquillement... Elle a l’habitude de vivre à la dure. C’est sa force. Aussi quand un lieu pour dormir n’est pas adapté, elle ne s’en étonne pas. Elle a déjà connu ça. Nous pourrions aller loin ensemble si le cœur et la volonté sont de la partie.
Derniers commentaires
21.07 | 03:46
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23.03 | 06:03
C'est beau, c'est plein de vie et d'humanité; merci pour le partage de tes voyages.
25.12 | 09:32
Lieber Dimitri.
Herzlichen Dank für deinen Besuch. Du hast Spuren bei uns hinterlassen...
Liebe Grüße
Jasmin
15.12 | 12:04
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