Dubaï l’Indienne

Je quitte l’Iran en bateau depuis Bandar Lengueh pour Dubaï. À la douane, les garde-frontières me font passer devant tout le monde. Ma blanchitude m’exemptait de la file...

Une fois sorti du port, je suis surpris par le calme des routes. Les moteurs ne vrombissent plus. Les voitures me dépassent tout en légèreté. Je passe inaperçu. Je ne suis plus une curiosité alors même que les voyageurs à vélo, sont aussi rares aux Émirats arabes unis qu’en Iran. Si je n’intéresse plus, c’est parce que les grandes villes sont anonymes, parce que je n’incarne pas la réussite que tout le monde vient chercher ici et parce que les écarts salariaux et sociaux sont si injustifiables qu’ils ne peuvent se résorber que dans l’indifférence.

J’aperçois des hommes du sous-continent indien souvent accroupis en ligne le long du trottoir. Je les imagine se reposer après une longue journée sur les chantiers avoisinants. Des serveuses des Philippines s’activent dans les bistrots. De ce que j’ai vu, je devrais conclure que les Philippines sont, comme les ruches, peuplées exclusivement de femmes et que l’Inde est aussi masculine que l’univers de Tintin.

Tant que la route longe la côte, je n’ai rien à craindre. Ça se gâte quand je bifurque à gauche pour rejoindre mon hôtel. Une autoroute de deux fois sept pistes me barre le chemin. Les bretelles la surplombant sont intimidantes. Je les empreinte, bien rangé sur la bande d’arrêt d’urgence, mais suis obligé de me risquer, dans quelques virages, sur la voie de gauche pour ne pas rater ma bifurcation.

Trompe-l’œil dans un centre commercial.

Trompe-l’œil dans un centre commercial.

A Dubaï, les plus riches sont souvent invisibles et c’est tant mieux, car ils ont décidé de se compromettre avec un gouvernement esclavagiste (les Indiens dans la construction, touche dans les deux cents francs suisses par mois avec renvoi, séance tenante, dans leur pays comme solde de tout litige). Des hôtels pseudo-luxes font croire à des prolos qu’ils ont atteint la classe en dessus (C’est peut-être le cas, mais il n’y a pas de quoi être fier).

Quant à mon hôtel, ce n’est pas un hôtel. Ce n’est pas une guesthouse non plus. Ce n’est rien du tout en fait. Mais, ce lieu peu recommandable reflète bien la cherté de l’immobilier et la pénurie d’hôtels. Des piaules sans nom atteignent ainsi rapidement une vingtaine d’euros. Dans mon pseudo-hôtel, trois Indiens (les vrais locataires de l’appartement convertis en tenanciers du dimanche) louent leurs chambres. Ils dorment dans une moitié de leur hall d’entrée qui leur sert à la fois de réception, de salon et de chambre à coucher. Une cloison les sépare de la deuxième moitié du hall. Un rideau fait office de porte. Trois lits y sont installés. C’est là où je loge avec deux Tadjiks. Tout le monde traverse cette pseudo-chambre pour se rendre sur le minuscule balcon. Quelques-uns de mes sacs y sont d’ailleurs entreposés car il n’y avait pas de place ailleurs. Pour lot de consolation, au dernier étage de cette tour quelconque, une petite piscine ainsi qu’un fitness sont mis à disposition des locataires de l’immeuble. En bref, c’est l’histoire d’Indiens qui n’ont pas assez d’argent pour payer leur loyer.

La mosquée Cheikh Zayed d’Abu Dhabi, au contraire de la plupart des édifices du pays, s’inscrit dans la culture émiratie.

La mosquée Cheikh Zayed d’Abu Dhabi, au contraire de la plupart des édifices du pays, s’inscrit dans la culture émiratie.

J’en profite pour visiter Dubaï l’extravagante : de gigantesques centres commerciaux, parfois à thèmes, la piste de ski couverte, l’aquarium géant, le plus grand gratte-ciel du monde… Tout est fait pour impressionner. Ce n’est pas vraiment original, mais le plus gros possible. C’est une modernité-féerique et fantasmée où tout le monde est riche et beau, en contraste avec notre modernité quotidienne à la nature reléguée, aux bâtiments fatigués et aux écrans abrutissants.

J’entends beaucoup de russe. Je pense que cette amour du kitch pallie les carences des années communistes. Ils veulent des couleurs, de la richesse, du luxe. Les Occidentaux sont plus mitigés, souvent contents de voir ça une fois.

Je discute avec deux Séoudiens qui m’offrent à manger. Ils viennent ici sentir le vent de la liberté. De jeunes Africaines me font les yeux doux pour arrondir leur fin de mois (ou peut-être le mois). Quelques Émiratis hyper-minoritaires se promènent en kandurah, leur habit traditionnel, une robe aux manches longues, comme pour rappeler qu’ils sont les maîtres des lieux.

Dubaï m’apparait comme éminemment racialiste. A chaque métier, correspond une couleur de peau et une origine sociale. Je déménage à Dehra, le quartier populaire par excellence. De nombreux petits hôtels accueillent une clientèle indienne et africaine de petits commerçants. A mon étage, des cartons sont entreposés dans le couloir pendant cinq jours. Presque vide au début, ils se remplirent constamment au fil des emplettes de son propriétaire.

Quelques églises existent à Dubaï. Elles sont faciles d'accès et à peine discrètes.

Quelques églises existent à Dubaï. Elles sont faciles d'accès et à peine discrètes.

Dans une ruelle adjacente, faite d’immeubles d’environ cinq étages accolés les uns aux autres, Indiens et Pakistanais s’agglutinent, parfois vêtus d’un pagne, dans de petits bouis-bouis pour boire du karak, thé indien au lait, pour un rial (0,25 centimes). On se croirait à Karachi. La nourriture coûte au moins quatre fois moins chère que dans mon ancien quartier. Les hôtels restent un peu onéreux, mais leurs prix sont assez uniformes. Sur un petit lopin de terre mystérieusement inoccupé entre deux immeubles, sorte de miniterrain vague, quelques sportifs du dimanche ont installé un filet de volet l’espace d’une soirée. Une rue plus bas, des Ethiopiennes délavées fument le narguilé dans des cafés. Les clients sont rarement visibles, certainement parce qu’ils montent rapidement à l’étage.

Tanya, une pote ukrainienne, vient me chercher dans ce quartier. À la tombée de la nuit, elle est un point blanc visible à deux cents mètres, se frayant un chemin dans cette foule d’hommes du sud. Elle déteste ce quartier et n’y vient jamais. Si elle réside à Dubaï, c’est pour réussir dans un monde moderne, pas pour faire de l’ethnographie à Little India. J’ai toutes les peines du monde à expliquer que, à cette modernité de façade, je préfère glaner des informations sur l’Inde et parler nostalgiquement du Bangladesh dans le bistrot du coin devant des repas un peu mal présentés mais gargantuesques.

Derniers commentaires

21.07 | 03:46

MX8NE9M hi go to https://www.tut.by/

23.03 | 06:03

C'est beau, c'est plein de vie et d'humanité; merci pour le partage de tes voyages.

25.12 | 09:32

Lieber Dimitri.
Herzlichen Dank für deinen Besuch. Du hast Spuren bei uns hinterlassen...
Liebe Grüße
Jasmin

15.12 | 12:04

Hello

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