Depuis mai 2015, sur les routes du monde au gré des vibrations d'âmes ...
A peine la frontière passée, une petite dame à la chevelure débordant allègrement de son voile m’invite à manger. Son fils, déjà père de famille, me prend en charge dès l’entrée dans la propriété. Ses enfants jouent avec des ballons en plastique et font des grimaces pour m’impressionner. Quelques kilomètres plus loin, un tube crachant une eau limpide et fraîche sert de fontaine aux villageois. Exactement ce que je cherchais!
Devant moi, une femme finit de remplir un bidon. Ses sourires complices attirent les enfants du voisinage vite suivis par leur père. Les présentations à peine faites, je suis invité pour fêter Novruz, le nouvel an traditionnel, qui a lieu à l’équinoxe de printemps. Les deux pères de famille se chargent des toasts. Les enfants partent jouer pour ne réapparaître qu’au moment des photos. Les femmes m’observent de la salle voisine n’apparaissant que pour s’occuper du service. J’en profite pour goûter toutes les spécialités venant dans mon assiette qui semble ne jamais se désemplir. A peine ai-je quitté mes hôtes que déjà ils me rattrapent :
« Tu as oublié ton couteau suisse, tes lunettes et ton briquet, fais plus attention à tes affaires la prochaine fois ». Personne n’est dupe. Les parents ont mis la main sur le trésor de guerre des enfants…
Les habitués d’un bar, perdu le long de la route ,accourent pour me faire profiter, un verre de thé à la main de la douceur du soir. Sous des arbres commençant timidement à fleurir, la discussion s’envole sur les femmes et la circoncision me faisant presque oublier que j’ai à faire à des quinquagénaires.
La nuit tombée, je demande pour planter ma tente dans un champ. Peu après avoir acquiescé, le paysan revient d’une large bâtisse avec du thé et un pain fourré.
Le voisin et son fils entament la discussion avec moi. Mon hôte, âgé d’une soixantaine d’années, revient au pas de course: « Dis-lui qu’il est un parasite ». Réapparaissant armé d’une fourche, il frappe son voisin à l’épaule avec le dos de celle-ci. Son adversaire réagit en tentant de l’étrangler. J'interviens pour confisquer la fourche et les séparer. Je suis arrivé au bon moment: le hasard des calendriers m’a fait débarquer le jour où le voisin avait décidé de revenir de ses terres hivernales après cinq mois d’absence.
Invité pour partager une omelette et un verre de vodka, je m’aperçois que Turan dispose de toutes les propriétés pour être le bouc-émissaire de service. Il possède un cheval comme solde de tout bétail. Sa maison est toute petite, ne comporte pas d’écurie ni d’enclos, de sorte que ses terres ne sont pas clairement délimitées. Sa femme étant décédée, il élève seul son fils d’une dizaine d’années. Les racines du conflit sont fumeuses et seraient à chercher, selon lui, dans une sulfureuse histoire d’oies volées et chez un voisin très susceptible téléphonant à la police pour un oui ou pour un non. Le lendemain matin, il se met à la recherche de son cheval disparu pendant la nuit …
Après avoir refusé plusieurs invitations, j’atteins Gandja deuxième ville du pays qui compte plus d’un million d’habitants. En cette période de fêtes, je m’attends à voir une ville animée, fière rivale de Baku. Je découvre une bourgade de province sans prétention, dans laquelle il faut faire des pieds et des mains pour dégoter un des rares hôtels de la ville.
L’hôtel Kapaz, en plein centre, a l’allure d’une laide barre d’immeuble des banlieues défavorisées. Le réceptionniste regarde la télé au fond d’un large hall peu meublé. Dans une salle adjacente, le concierge se repose. L’ascenseur est en panne, certainement depuis plusieurs années. Seul le troisième étage est fonctionnel et est placé sous le contrôle d’une surveillante, s’ennuyant, elle-aussi, dans sa loge. Le mobilier et le parquet de la chambre sont si usés que leur couleur d’origine est difficilement imaginable. Vers 12h30, on me conseille d’aller faire un tour: la surveillante a fini son service et préfèrerait pouvoir fermer tout l'étage. Le premier soir, je n’obtiendrai que de l’eau gelée. L’hôtel réussira à faire mieux le deuxième jour : Pas d’eau!
Je me renseigne auprès du réceptionniste qui m’assure que de l’eau bonne chaude jaillira dans une vingtaine de minutes. De retour à l’hôtel deux heures plus tard, je m’aperçois que l’eau ne coule toujours pas. En fait, m’explique le réceptionniste, ils l’ont mise en marche pendant que je n’étais pas là et, croyant que j’avais eu le temps de me doucher, l’avaient à nouveau coupée :
« Maintenant ce n’est plus possible, renchérit le concierge. Il faudrait rallumer la pompe ce qui prendrait une trentaine de minutes et beaucoup d’énergie. Il est onze heures passées, bien trop tard pour tout ce bric-à-brac». Pour que je ne meure pas de soif, le réceptionniste me donne un bidon en plastique de cinq litres à moitié plein. Le gardien m’invite dans sa loge et me sert un verre de son jus de fruit personnel. Ils sont certes fort aimables, mais leur gentillesse ne remplace pas une bonne douche!
Alors que j’approchais de Gandja, on m’assurait que le nouvel an traditionnel, certainement la fête la plus importante de l’année, serait célébré en grande pompe le jour même. En ville, on m’informait que la fête aurait lieu le lendemain et qu’il me suffirait de me promener pour l'apercevoir. Le jour suivant, le marché était vivant et, outre les produits ordinaires, les marchands y vendaient des pétards et de menues décorations. Quelques vitrines décorées et des espèces d’œufs géants métalliques disposés sur la promenade rappelaient la fête. A la mi-journée, on m’expliquait que les célébrations auraient lieu le soir. Quand l’aube se glissa sur l’horizon, il apparut qu’elles n’auraient jamais lieu ou, pour les malhonnêtes, qu’elles étaient déjà passées. Malgré cinq jours fériés et une ville d’un million d’habitants, aucun concert ou manifestation publique n’étaient organisés! Rien de bien grave, j’avais pu profiter de la fête les jours précédents…
Dans les faubourgs de la ville, je croise un spécialiste du tuning à vélo, tout content de me montrer ses nouvelles inventions : un siège ouvrable et un disque sur la roue avant pour pouvoir y fixer un moteur. Nous sommes devant la buanderie de son ami, Azar, qui nous invite chez lui pour un mémorable agneau au pruneau. Azar possède un petit camion-citerne de l’époque communiste lui permettant de chercher de l’eau de bonne qualité à la montagne. Les riverains accourent à son passage munis de bidons et se servent à l’aide des petits robinets disposés un peu en-dessous du pare-choque arrière.
Peu après Gandja, mon pneu avant lâche. Chose d’autant plus fâcheuse que je venais d’utiliser mon pneu de rechange pour ma roue arrière. Les employés d’un petit restaurant m’autorisent à y laisser mon vélo et mes affaires.
A peine ai-je levé le pouce qu’un conducteur me prend sous son aile. Il m’amène devant un magasin vendant des pneus de mauvaise qualité. Désirant achever sa B.A. mais pressé de repartir, il me vante les mérites d’un pneu édenté. Je résiste.
A peine ai-je eu le temps de réfléchir de la suite à donner à cette aventure que déjà me voilà dans les mains d’un autre individu qui m’amène sur le seuil du seul véritable magasin de vélo de la ville, une échoppe pleine de pièces de rechange. Un jeune gars dévoile une roue à même le sol et deux vendeurs répondent aux questions des clients. A peine me suis-je résigné à acheter le seul pneu disponible, un poil grand pour ne pas frotter un peu contre ma fourche que me voilà déjà en direction de la gare autoroutière.
Mon chauffeur arrête une voiture qui s’apprêtait à quitter la ville et le convainc rapidement de me prendre. Me ramenant vers le restaurant, le jeune homme d’une vingtaine d’année insiste pour m’inviter à dormir chez lui une dizaine de fois au moins. A chaque fois que je lui réponds affirmativement, celui-ci enchaine : « Non, je parle sérieusement ». A peine lui ai-je montré mon vélo que celui-ci me salue et s’en va… La nuit tombant, je campe sur la terrasse du petit restaurant.
Une longue et large route rectiligne filait vers Baku. Aux alentours des fleuves et des petits lacs, les vendeurs agitaient fièrement leurs plus grosses prises encore vivantes. Le trafic s’intensifiait et traversait les parties les plus désolantes des villages. Je décidais donc de prendre une de ces petites routes de campagne zigzaguant vers la destination finale.
A peine libéré du bruit et des odeurs nauséabondes, un chauffeur s’arrête pour m’inviter dans sa maison. Nous passons d’un commerce à l’autre pour tenter en vain de remédier à la pénurie de cigarettes bon marché, avant de se glisser derrière un haut portail dissimulant un parking couvert, une maison en brique sur un étage et un long potager. Sa femme et sa belle-fille, très en retrait, s’occupent admirablement de la maison. Si elles ne m’adressent quasiment pas la parole, les corvées, exigées par le patriarche, ne se discutent pas.
Les jours suivants, les invitations se succèdent. Un soir, je dors à la belle-étoile derrière des roseaux, épuisé après de magnifiques grillades. Un autre, je finis dans une petite baraque surplombant le fleuve et contrôlant la pompe d’irrigation des champs voisins grâce à un système d’aqueduc. Je partage aussi un peu de temps avec les protagonistes d’«un petit mariage » - en fait une circoncision - et refuse l’invitation d’un dépressif peut-être aussi homosexuel.
Je m’imaginais les villages de la mer caspienne vivants et animés. A moins de cent kilomètres de la capitale, les citadins ne pouvaient que se ruer vers les petits villages bucoliques avoisinants à la première occasion.
J’avais tout faux. Les côtes sont peu propices à la baignade! En plusieurs endroits les terrrains environnants sont constellés de pompes à pétrole, petits forages à l'ancienne, toujours en activité, semblant installés de manière anarchique, sur chaque lopin de terre. Les villages n’exhibent aucune opulence et la première rangée de maisons bloque l’horizon avec de hauts murs à une cinquantaine de mètres de la route. La mer n’est qu'une forme bleutée, parsemée de plate-forme pétrolières, se devinant parfois au loin derrière une vaste étendue de sable noirâtre. La route balayée par un fort vent de face, devient soudain impersonnelle et l’infrastructure hôtelière se résume à de petits salons de thé sans âme. La nuit était déjà tombée quand je m’arrêtais dans l’un d'eux.
Suite à une discussion anodine entre le cuisinier et un client, une bagarre éclate. Le premier lance de l’eau à la figure du second qui le saisit par la gorge et tente de le frapper avec une bûche dont il venait à peine de s’emparer. Le cuisinier, bien plus frêle, s'enfuit. Ne pouvant accepter un tel affront, qui plus est devant ses rares clients, il revient, rouge de colère, armé d’un couteau de cuisine et attaque sans sommation. Les autres clients s’emmêlent pour ôter leurs armes aux belligérants, les séparer et éviter aimsi un bain de sang.
J’ai assisté à deux bagarres en autant de semaines, à chaque fois, entre des personnes au moins quadragénaires et peu alcoolisées; pas dans une discothèque ou à un carrefour de la drogue, mais au milieu de nulle part. Je suis peut-être influencé par le stéréotype, courant en Russie, de Caucasiens au sang chaud mais je ne peux me résoudre à l’idée que j’ai seulement été malchanceux. En trente ans passés en Suisse, et dans de nombreux pays, je n’avais jamais vu ça. Se battre apparaît ici comme une modalité de résolution des conflits bien plus courante qu’en Europe de l’Ouest.
Le lendemain, j’atteignais Baku. Le niveau de russe s'améliore et même l’anglais devient audible. Des gratte-ciels rayonnant saluent les voyageurs, la large promenade affiche fièrement sa superbe, un pavillon annonce la venue prochaine d’une épreuve de formule 1 et le centre historique bien rénové est parsemé de magasins de souvenirs. De nouveaux bâtiments futuristes témoignent du désir de montrer une ville riche des ressources de son sous-sol, tournée vers le futur et ayant sa place dans la cour des grands. Tout devient plus impersonnel et je passe presque inaperçu. Gandja et la province sont définitivement bien loin!
Derniers commentaires
21.07 | 03:46
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23.03 | 06:03
C'est beau, c'est plein de vie et d'humanité; merci pour le partage de tes voyages.
25.12 | 09:32
Lieber Dimitri.
Herzlichen Dank für deinen Besuch. Du hast Spuren bei uns hinterlassen...
Liebe Grüße
Jasmin
15.12 | 12:04
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