Religion, politique et Norouz en Azerbaïdjan

De nombreuses photos du même homme sur les routes de l’Azerbaïdjan. Ce n’est pas la photo du président (Ilham Aliyev), ce sont celles de son père (Heydar Aliyev) et ancien président. Là où d’aucun verrait un despote, il faut y discerner une piété filiale à vous mettre la larme à l’œil.

De nombreuses photos du même homme sur les routes de l’Azerbaïdjan. Ce n’est pas la photo du président (Ilham Aliyev), ce sont celles de son père (Heydar Aliyev) et ancien président. Là où d’aucun verrait un despote, il faut y discerner une piété filiale à vous mettre la larme à l’œil.

« Peu nous importe la démocratie, l’essentiel c’est l’amélioration des conditions de vie »

Il est souvent difficile d’évaluer le niveau de démocratie dans les pays post-soviétiques par sa perception personnelle. Dans la plupart de ces régions, comme en Russie ou en Azerbaïdjan, le contrôle étatique semble s’être retiré de la vie sociale des individus. Les gens se sentent libres parce qu’ils peuvent désormais aller librement à l’église ou à la mosquée, sortir du pays, parler de sujets politiques dans leur cercle privé …

Le peuple attend avant tout du pouvoir une amélioration des conditions de vie: si la démocratie était établie, rien n’indique que le président élu serait meilleur que l’ancien despote. Impossible de devenir président sans jouer des coudes et corrompre, nous enseigne la sagesse populaire de ces contrées. Mieux vaut donc parier sur un cheval que l’on connait, plutôt que sur un inconnu qui ne peut réserver que de mauvaises surprises : on sait ce que l’on perd, pas ce que l’on gagne.

Avec tous les pragmatiques ne croyant pas à l’utilité de la démocratie et les quelques opposants préférant rester discrets, le discours politique informel est laissé aux supporters du président. Vugar me confie : « Le pays était dans le chaos, nous étions en guerre, il n’y avait pas de travail, l’économie était catastrophique, les mafias faisaient la loi. Et puis Heydar Aliyev, le père de notre président actuel est arrivé et a tout remis en ordre. Aujourd’hui, l’économie s’est stabilisée, ce que nous gagnons nous suffit pour vivre au jour le  jour et nous n’aurons pas de terrorisme, car on a un bon président qui met les méchants en prison ». 

En dehors de ce genre de discours stalinisant, l’Azerbaïdjan se distingue de la Russie et de la Biélorussie par la peur d’émettre des positions politiques dissidentes  et ce même dans un cercle restreint d’amis. Il m’est, par exemple, arrivé plusieurs fois que mon interlocuteur ne parle plus un mot de russe dès que des sujets sensibles comme les pots-de-vin sont abordés.

Alors que je déjeunais avec Aysel dans un petit restaurant de Baku, des policiers s’asseyent à la table d’à côté. Tout de suite, elle déplace son sac de l’autre côté de la table. La confiance règne… Elle me raconte l’histoire d’une connaissance condamnée pour avoir organisé une manifestation, pourtant autorisée par le pouvoir. Son fils est né depuis plusieurs mois mais il ne l’a encore jamais vu.

A la sortie d’un village, invité à partager le repas en compagnie de mécaniciens sur voiture, la discussion glisse sur la politique avec l’un d’eux. Elvin en veut aux élites qui, selon lui,  volent le pays. Bien qu’il soit le seul des quatre à parler le russe, il me confie ne pas vouloir prononcer le mot "président" ou son nom, Ilham Aliyev, afin de s’assurer que ses amis et collègues de travail ne le comprennent pas.

En quittant le pays, je m’interroge : mes perceptions sont-elles en phase avec la réalité? Je me renseigne. L’indice de démocratie 2015 place le pays loin derrière la Russie et tous les pays que j’ai visité jusqu’à maintenant. Le pays est 141ème sur 156, juste derrière l’Afghanistan et la République du Congo. Détail piquant : un bug dans l’application pour les élections présidentielles de 2013 a conduit à la divulgation des résultats la veille du scrutin!!! ...

Religion : Enjeux géostratégiques et croisements d’influences

Une femme voilée aidant discrètement à l’organisation d’un pique-nique dans un village de l’Azerbaïdjan. A l’instar des normes sociales qui prévalent également en Turquie, les femmes seront absentes lors du repas.

Une femme voilée aidant discrètement à l’organisation d’un pique-nique dans un village de l’Azerbaïdjan. A l’instar des normes sociales qui prévalent également en Turquie, les femmes seront absentes lors du repas.

A la chute de l’URSS, les craintes étaient vives quant au rapprochement de l’Azerbaïdjan avec son voisin iranien, les deux pays étant majoritairement shiite. Cette proximité religieuse n’allait pas suffire. D’abord, parce que le perse et l’azéri viennent de familles de langues aux origines complétement différentes. Ensuite, une importante population azerbaïdjanaise vit dans le nord de l’Iran et le pouvoir à Téhéran veut à tout prix éviter un nationalisme azéri qui ferait fi des frontières. Enfin, l’Iran, pays des Ayatollahs, a préféré s’allier avec l’Arménie, premier pays au monde à reconnaître le christianisme comme religion d’Etat. Cette alliance a profondément dégradé les relations avec l’Azerbaïdjan qui lutte désespérément contre l’Arménie, son ennemi juré, pour récupérer le Haut-Karabagh.

La Turquie par sa production cinématographique et ses écoles est très présente et le Turc, appartenant à la même famille de langues, est souvent maîtrisé par les Azerbaïdjanais. Le gouvernement turc continue de soutenir l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh, notamment en conditionnant la réouverture de sa frontière avec l’Arménie au retrait des troupes arméniennes de cette région. Les Turcs sont certes sunnites mais j’ai pu constater une tendance à transcender la division confessionnelle. Lors de mon passage dans la mosquée azérie de Tbilissi par exemple, la composante shiite était vivement démentie au profit d’une appartenance à l’islam en général. Ce rapprochement est à mettre en perspective avec le combat acharné que se livrent les deux confessions dans tout le Moyen-Orient.

La Russie est vivement critiquée pour son soutien militaire aux arméniens. Mais, l’influence du grand voisin du Nord sur la société azérie demeure forte. La Russie est l’eldorado pour l’émigration et les emplois saisonniers : autorisation de travail facile à obtenir, niveau de vie plus élevé et plus grande liberté notamment en matière sociétale et sexuelle. En dehors du turc, le russe est la seule langue étrangère largement diffusée dans le pays ce qui confère au monde russe, de par les canaux de diffusion et les relations interpersonnelles, le rôle de société de référence. Cet impact du russe dans la société azérie ne doit cependant pas être surestimé. Les connaissances sont souvent inexistantes chez les jeunes et le niveau général de russe est un des plus faibles des pays issus de l’empire soviétique.

Le passé communiste de l’Azerbaïdjan contribue à le différencier des autres pays musulmans de la région. Les signes de sécularisation sont nombreux; les mosquées sont relativement rares et discrètes. Le voile se porte de façon nonchalante à la campagne où il ne constitue pas la référence incontestée. Il est très rarement porté dans les villes. Quand il se manifeste, les femmes le portent à la manière turque prenant soin de cacher le cou et l’ensemble de leur chevelure par un double voile. La vodka facile à trouver apparaît souvent sur les tables et le pays produit même du vin de qualité. 

Norouz : une réminiscence païenne des plus populaires en terre d’islam

Les bouchers ont fort à faire durant cette période de l’année où l’agneau est très prisé.

Les bouchers ont fort à faire durant cette période de l’année où l’agneau est très prisé.

Dans l’Est de la Géorgie à majorité azérie, les élèves se préparent pour une séance photo. Une école plus loin, les enfants courent dans tous les sens et attendent que le feu au centre de la cour soit allumé, clin d’œil évident au culte païen du soleil. J’assiste au prélude de Norouz, le Nouvel An perse, une des fêtes les plus importantes d’Azerbaïdjan. Tirant ses origines du zoroastrisme, elle est notamment fêtée en Asie centrale, en Iran et par les kurdes. Elle a lieu à l’équinoxe de printemps. Peu après la frontière azérie, deux hommes ont allumé un feu dans un champ et me hèlent pour que je participe à leur petite fête.

A la maison, les toasts et les plats se succèdent. Les femmes s’occupent du service et restent en retrait dès qu’un étranger vient leur rendre visite. Les germes de blé symbolisant la renaissance sont partout omniprésents.

A la maison, les toasts et les plats se succèdent. Les femmes s’occupent du service et restent en retrait dès qu’un étranger vient leur rendre visite. Les germes de blé symbolisant la renaissance sont partout omniprésents.

Quelques kilomètres plus loin, un tube, crachant une eau limpide et fraîche sert de fontaine aux villageois. Devant moi, une femme finit de remplir un bidon. Ses sourires complices attirent les enfants de la maison d’à côté, vite suivis par leur père. Les présentations à peine faites, je suis invité pour la fête. Les deux pères de famille se chargent des toasts. Les enfants partent jouer pour ne réapparaître qu’au moment des photos. Les femmes m’observent de la salle voisine, n’apparaissant que pour s’occuper du service. J’en profite pour goûter toutes les spécialités arrivant dans mon assiette qui semble ne jamais désemplir. A peine ai-je quitté mes hôtes que déjà ils me rattrapent :

« Tu as oublié ton couteau suisse, tes lunettes et ton briquet, fais plus attention à tes affaires la prochaine fois ». Personne n’est dupe. Les parents ont mis la main sur le trésor de guerre des enfants…  

Dans les rues de Gandja, les citadins profitent du soleil pour se promener et faire des selfies avec, pour l’occasion, des œufs géants symboles de fertilité.

Dans les rues de Gandja, les citadins profitent du soleil pour se promener et faire des selfies avec, pour l’occasion, des œufs géants symboles de fertilité.

Alors que j’approche de Gandja,  on m’assure que le nouvel an traditionnel sera célébré en grande pompe le jour même. En ville, on m’informe que la fête aura lieu le lendemain et qu’il me suffira de me promener pour l’apercevoir. Le jour suivant, le marché est vivant et, outre les produits ordinaires, les marchands y vendent des pétards et de menues décorations. Quelques vitrines de magasins décorées et des espèces d’œufs géants métalliques disposés sur la promenade rappellent la fête. A la mi-journée on m’explique que les célébrations auraient lieu le soir. Quand l’aube se glisse sur l’horizon, il apparaît qu’elles n’ont jamais eu lieu ou, pour les malhonnêtes, qu’elles sont déjà passées. Malgré cinq jours fériés et une ville d’un million d’habitants, aucun concert ou manifestation publique n’étaient organisés! Rien de bien grave, j’avais pu profiter de la fête les jours précédents ...  

La nappe des sept plats, dans la vitrine d’un restaurant (Haft Sîn). Les sept plats varient d’une table à l’autre et correspondent aux sept anges annonçant la renaissance, la santé, le bonheur, la prospérité, la joie, la patience et la beauté. Nous pouvons y voir, par exemple, les germes de blé symbolisant la renaissance ou le fruit séché du jujubier représentant l’amour, de l’eau de rose connue pour ses pouvoirs magiques de nettoyage ou encore des œufs peints symbolisant la fertilité (1).

La nappe des sept plats, dans la vitrine d’un restaurant (Haft Sîn). Les sept plats varient d’une table à l’autre et correspondent aux sept anges annonçant la renaissance, la santé, le bonheur, la prospérité, la joie, la patience et la beauté. Nous pouvons y voir, par exemple, les germes de blé symbolisant la renaissance ou le fruit séché du jujubier représentant l’amour, de l’eau de rose connue pour ses pouvoirs magiques de nettoyage ou encore des œufs peints symbolisant la fertilité (1).

Le marché est bien animé pendant la période de fêtes. Les vendeurs en profitent pour vendre des germes de blé et des pétards aux enfants.

Le marché est bien animé pendant la période de fêtes. Les vendeurs en profitent pour vendre des germes de blé et des pétards aux enfants.

Notes

(1) FarsiNEt, Persian New Year, http://www.farsinet.com/noruz/haftsinn4.html, 28.08.2016. 

Derniers commentaires

21.07 | 03:46

MX8NE9M hi go to https://www.tut.by/

23.03 | 06:03

C'est beau, c'est plein de vie et d'humanité; merci pour le partage de tes voyages.

25.12 | 09:32

Lieber Dimitri.
Herzlichen Dank für deinen Besuch. Du hast Spuren bei uns hinterlassen...
Liebe Grüße
Jasmin

15.12 | 12:04

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