Depuis mai 2015, sur les routes du monde au gré des vibrations d'âmes ...
Deux cents mètres après la frontière roumaine, je m’assieds sur un banc blanchâtre que les pâles lueurs du soleil d’automne rendent propice pour la réflexion. A ma droite, la route part plein sud à travers les pleines fertiles du Danube et le long de la mer Noire. Istanbul semble soudain si proche, presque sans pédaler. Dans l’autre sens, une route sans fin à travers les collines en direction des montagnes de Transylvanie menaçant de s’enneiger. La facilité face à l’aventure, le balnéaire contre la montagne, le dilemme entre un choix émotionnel ou raisonné. Je démarre à plein régime vers ma Roumanie fantasmée, conscient que ce petit élan de folie va me valoir bien des tourments.
Dès les premières collines, les premiers froids s’annoncent et le zéro degré n’est désormais plus un acquis pour la nuit. Les premiers paysans me conseillent de descendre un peu dans la vallée pour être mieux protégé du vent et gagner quelques degrés, pas mécontents de me voir quitter leur territoire. La nuit menace de m’absorber lorsque des villageois, me prennent sous leurs ailes. Je finis dans la petite salle adjacente à la cave à vin d’un dénommé Antonio. La soirée se prolonge à coup de gorgées de vin nouveau, en lisant les anciens manuels scolaires de l’époque Ceausescu et en entendant la voix rauque de sa femme. Je m’étonne de la facilité avec laquelle nous nous comprenons. Pour un temps, je veux croire à la magie du lexique commun entre langues latines, avant de m’apercevoir, qu’il me parle dans un espagnol parcellaire, avec un accent à couper au couteau. Comme une âme en peine, sa femme reste invisible, retranchée dans sa cuisine. C’est seulement au petit matin que le mystère se dévoile. Occupée avec la basse-cour, elle me salue et m’aide à ouvrir le portail avant de se remettre rapidement au travail.
Après une descente ensoleillée au froid piquant, une longue plaine s’enfonce dans les montagnes. A la sortie d’une agglomération, un chien décide de m’accompagner dans ma balade. Sa foulée est impressionnante et même mes pointes à 30 kilomètres/heure ne parviennent pas à le faire lâcher. Craignant de le voir à l’abandon, perdu en rase campagne, je m’arrête, lui lance une saucisse et part au sprint. Me retournant, je vois un point noir qui tente de revenir ; ma prochaine pause n’est pas pour tout de suite.
Ayant laborieusement obtenu l’autorisation de camper près d’une ferme, une petite fille accompagnée de deux chiens observe mes gestes ritualisés : montage de tente, préparation du réchaud, ... La paysanne me lance des regards et me fait de grands gestes, comme pour m’avertir d’un danger imminent. Au départ de la petite fille, le voile tombe. C’est une tsigane et comme toutes les personnes de sa race, c'est une paresseuse et une voleuse. Une chose est sûre : avec des voisins aussi bienveillants, la petite Lisa s’apercevra vite qu’elle n’est pas comme les autres.
La paysanne repassera plus tard avec son mari. Emu par ma condition en cette froide soirée d’octobre, il a une intention des plus louables : faire un feu. Partant chercher le combustible, je le vois revenir avec un vieux pneu sous le bras et de l’alcool à brûler. Après quelques tentatives infructueuses de le raisonner, je le laisse dégueulasser son champ, me réjouissant mesquinement de son échec programmé. A son premier essai, le feu dure le temps de l’alcool à brûler. La seconde tentative est plus réussie, la sombre nuit masquant l’épaisse fumée noire!
La grande amitié entre les peuples n’était pas prête de s’estomper. Je suis invité pour cuisiner et boire le thé. En pleine réparation de mon réchaud, l’invitation vient à point nommé! La cuisine, un lit et le poêle à bois sont dans la première salle, la deuxième comporte aussi un lit et quelques menus accessoires. M’étant éloigné de la tente pour répondre à l’invitation, les parents et leur fils me mettent en garde contre le danger de laisser mes affaires sans surveillance, dans un lieu où les tsiganes pullulent. Après avoir réaffirmé mon opposition à toute discrimination, j’apprends que les fameux dangers publics sont au nombre de deux : la petite Lisa et son père, un illettré inoffensif.
J’ai souvent rencontré du simple quidam, au policier, en passant par le garde-frontière de tels discours. Que des réformes aient été entreprises pour adhérer à l’UE dans le domaine du respect des minorités ne saurait cacher le racisme latent envers la communauté tsigane. On pourra argumenter que c’est une question de temps, que l’essentiel est l’égalité dans la loi, que l’état d’esprit de la population suivra... La situation économique des campagnes m’interpelle. Dans les campagnes, les logements sont basiques, l’électricité n’est pas partout garantie et le chauffage et la cuisson au bois ne sont pas rares. Dans l’Est du pays, la calèche est souvent utilisée pour le travail des champs et comme moyen de locomotion. J’ai de la peine à voir comment une telle économie -certes plus forte que l’économie ukrainienne et moldave- peut être suffisamment forte pour soutenir la concurrence au sein de l’union européenne, mais là encore, on pourra objecter que je ne vois qu’une petite parcelle de cette économie qui a l’avantage d’avoir de bas salaires et que les conditions de logement ne sont pas un frein à l’activité économique.
Une alternative à la route que je désirais prendre m’est décrite de façon onirique. Il ne faut pas y aller, les loups y règnent sans partage, des troupeaux de moutons sont jalousement gardés par des chiens sanguinaires, les villages sont rarissimes et mon vélo ne tiendra pas le coup. Un tel tableau ne pouvait évidemment qu’attiser ma curiosité.
Comme les avis divergeaient sur l’état de la route, je prends les propos des cantonniers comme les plus fiables au vu de leur profession. Peut-être même avaient-ils travaillé sur ce tronçon...? La vérité de leurs propos s’étala sur les cinq premiers kilomètres asphaltés puis s’évanouit dans les nids de poule et la boue. J’ai croisé des camions et des calèches transportant du bois et traversé quelques villages abandonnés. Dans cette nature sublime, je campe à côté d’une source. Alors que je me réchauffe auprès du feu, un renard vient me visiter. Il me regarde longuement, se promène autour de ma tente pour aller se dissimuler grotesquement derrière un arbuste sans feuilles. A chaque fois que je dirige ma lampe dans sa direction, je vois ses yeux briller ainsi que le reflet de ses oreilles pointues… Et puis il s’en est allé lentement et avec nonchalance, longeant mon campement par le talus avoisinant.
Le lendemain m’extirpant des confins de la forêt, je retrouve une route carrossable qui me mène vers une petite station de montagne dans laquelle je me décide à m’arrêter. Je ne connais pas encore ma chance. A peine installé, j’apprends qu’un centre thermal se trouve à 5 minutes de mon hôtel. Je passe ainsi les trois jours suivants, particulièrement froids et pluvieux, à patauger dans les eaux chaudes des volcans de Transylvanie et les soirées, dans les petits bistrots du coin où les quelques habitués et tenanciers improvisent de petites fêtes dans une ambiance très familiale.
Dès qu’une accalmie se présente, je fuis vers le Sud, survolant le château de Dracula et passant les derniers cols pour rejoindre la plaine du Danube avant que l’hiver ne me rattrape. La dernière ville roumaine avant la frontière, Turnu Magurele, est l’ombre d’elle-même. Le patron de l’industrie pharmaceutique locale, actuellement en prison, a entrainé dans sa chute, plus d’un millier d’emplois. L’air y est redevenu respirable mais à quel prix !
Derniers commentaires
21.07 | 03:46
MX8NE9M hi go to https://www.tut.by/
23.03 | 06:03
C'est beau, c'est plein de vie et d'humanité; merci pour le partage de tes voyages.
25.12 | 09:32
Lieber Dimitri.
Herzlichen Dank für deinen Besuch. Du hast Spuren bei uns hinterlassen...
Liebe Grüße
Jasmin
15.12 | 12:04
Hello