Petite introduction à l’énigme arménienne

Une longue vallée s’élance dans l’arrière-pays géorgien pour atteindre un dernier plateau à plus de deux mille mètres d’altitude à la merci des bourrasques, des rafales de neige et des températures sibériennes. Quelques quidams déblayent la neige devant leurs maisons. Aux abords des villages, majoritairement arméniens, les bandes de chiens errants s’enfoncent dans la poudreuse. Les chauffages, dans des maisons mal isolées, peinent à répondre aux moins vingt-cinq affichés dans la rue. J’improvise des chaussons en recouvrant mes souliers de chaussettes usées et de sacs plastiques. Dans le bistrot du coin, une grappe d’hommes avinés m’invite à leur banquet et me conte la grandeur du peuple arménien, discours jalonné de chants patriotiques et de digressions sur la bonne entente avec les Géorgiens: les hasards de l’histoire, le jeu des nationalismes, les stratégies soviétiques et des cartographes plus ou moins habiles les ont placés comme une minorité à quelques jets de pierres de leurs mère-patrie. 

Vers la frontière !

Le poste-frontière se mue en parc d’attraction : les douaniers géorgiens s’amusent avec leur motoneige. Les débutants s’essayent timidement, les plus avancés rivalisent en prouesses artistiques; laissant le gros du personnel discutailler autour du garage sur la qualité de la neige. Un garde-frontière esseulé dans sa petite cabine abat l’entier de la besogne. Après quelques nids-de-poule dissimulés sous la neige fraîche, le poste arménien m’accueille avec un sérieux inattendu.

Parfois, les trames d’un nouveau pays semblent vous échapper comme un savon humide. Les signes culturels apparaissent quelconque et les rencontres prennent la forme d’un dépotoir de lapalissades. Pour éviter de tomber dans l’oubli de la diversité et discourir sur la standardisation du monde, l’œil s’accroche alors aux détails a priori sans intérêt pour découvrir de façon douce et lente des trésors cachés.

Chez Sashuna

Rien de tel en Arménie. Dès Ashotsk, premier village depuis la frontière, se dessine les contours d’une culture fière, refusant l’individualisme et tiraillée par une histoire compliquée. Emmitouflée dans un pull en laine, les cheveux recouverts d’un épais bonnet, Sashuna, vingt-cinq ans, m’invite à prendre le thé dans l’arrière-boutique de sa petite échoppe, éloignée des premières maisons du village par quelques centaines de mètres : « Il y a environ une année, un inconnu est venu acheter un paquet de cigarettes et est reparti. Le soir, ma mère m’annonça avoir reçu une demande en mariage de sa part. J’ai plusieurs clients par jour. Comment pouvais-je savoir de qui il s’agissait ? Il est revenu quelques fois, il m’a même apporté un bouquet de fleurs. Ma mère me reproche de temps à autre d’avoir refusé la proposition. Maintenant, c’est trop tard, il s’est marié et vit en Russie ».Un autre garçon vient lui rendre visite au magasin depuis quatre mois. Récemment, ses copains sont venus le récupérer manu militari prétendant que son père risquait de débarquer à tout moment. En fait, ils ne veulent pas de cette relation, car elle est de deux ans son aînée.

Ici, les relations hommes-femmes ne peuvent que rarement être frivoles ou s’émanciper des contingences familiales. Même son de cloche un peu plus loin, chez Gohar à Gyumri, deuxième plus grande ville du pays: « un jour, un garçon accompagné de ses parents est passé à la maison; mon père me l’a présenté et  m’a annoncé que l’on se marierait dans deux mois. On a fait ce qu’on a pu pour se connaître. Il me raccompagnait tous les soirs de l’université jusqu’à ma rue, on n’était pas autorisé à se voir plus. C’était en quatre-vingt-quinze. Le mariage a tenu dix ans. Mais, de nos jours, la situation est plus détendue, les enfants décident plus; surtout à la capitale ». 

Avec ces grands froids, je décide de laisser provisoirement de côté le camping.  Le petit hôpital, financé par des mécènes italiens, faisant face à la boutique de Sashuna est la première adresse qu’on me propose. Aux saveurs médicamenteuses, je préfère la maison d’Arthur, un ancien skieur de fond professionnel qui dispose de chambres d’hôtes pour accueillir les sportifs de passage. Je n’eus pas besoin de sonner. Me voyant passer sous leurs fenêtres, toute la famille me héla, mue par la solidarité entre sportifs.

Les yeux bleu azur d’Arthur trahissent ses origines allemandes du côté de sa mère. Celle-ci est venue profiter de l’eau courante chez son fils, car, dans le bas du village où elle habite avec sa fille, l’air froid stagne dans une dépression en forme de cuvette et les canalisations ont gelé. A quatre-vingts ans, elle reste fière de ses origines allemandes qui ont tant orienté sa destinée : « A cette époque, nous habitions dans un quartier allemand proche de Tbilissi. Nous vivions en bonne entente avec nos voisins géorgiens, arméniens et russes. Certains parlaient même l’allemand». A l’appel de Catherine la Grande, des colons allemands s’installent dans l’Empire russe à partir de 1763, en particulier dans la région de la Volga. Sous le règne de son successeur, Alexandre premier, la Géorgie voit à son tour l’arrivée de populations germanophones ,parfois guidées par des thèses millénaristes les incitant à se rapprocher du Mont Ararat avant l’avènement imminent d’un nouveau déluge. 

Sous Staline, les germanophones n’échappèrent pas aux grandes purges. Difficile de trouver meilleurs bouc-émissaires, alors que l’Allemagne envahissait l’URSS : « En ce temps-là parler allemand était mal vu; il fallait faire très attention si on le parlait dans la rue. J’étais un peu plus haut dans le village, le jour où les communistes tuèrent mon grand-père. Ceux qui ne furent pas massacrés furent déportés au Kazakhstan en 1941. Nous avons pu rester parce que ma mère s’était remariée à un Ukrainien. Plus tard, j’ai voulu étudier l’allemand à l’université de Tbilissi. Mais les pots-de-vin exigés étaient si importants en Géorgie que j’ai préféré faire mes études en Arménie. Pour recevoir le diplôme, il fallait enseigner deux ans dans une région reculée de la République. J’ai été envoyée dans ce village. Au début, je pensais repartir rapidement. Mais j’ai rencontré mon mari».

Les dernières lueurs tendent à se dissiper. Le monologue de la mère ne pouvait être suivi que par celui du fils, tout aussi loquace. Ses origines allemandes ayant été clairement dévoilées, c’était au tour de ses racines arméniennes. Arthur pointe son doigt vers l’horizon : « La frontière avec la Turquie n’est pas loin. C’est par ces champs que ce qui restait de ma famille est arrivé de la région d’Erzurum. Ma grand-mère fut une des rares à ne pas se faire massacrer. Ses parents l’avaient enduite de boue et cachée dans la porcherie avec un porcelet dans les bras. Quand les soldats turcs la  virent,   elle leur provoqua un tel dégoût qu’ils n’essayèrent même pas de la toucher. Ces terres sont à nous, un jour, elles nous reviendront ».

En reconstruisant sa maison, après le tremblement de terre de décembre 1988 qui avait dévasté toute la région, Arthur a pensé à la rendre idéale pour les sportifs.  Aujourd’hui, Il rêve de développer le ski de fond dans son pays et imagine une salle de sport polyvalente avec du matériel performant. Pour le moment, il est enlisé dans les problèmes de la fédération arménienne de ski nordique. Celle-ci a récemment acheté plusieurs motoneiges qui attendent flambant neuves au garage et dont personne n’a besoin : le président de la fédération voulait simplement faire marcher son entreprise qui, ironie du sort, produit des motoneiges. La fédération gère tellement mal son budget que son fils, Sergueï, ne peut participer qu’à la moitié des épreuves prévues: « La fédération internationale téléphone, car ils ne comprennent pas pourquoi nous ne sommes pas allés à la dernière manche de Coupe du monde pour laquelle elle nous avait envoyé les fonds nécessaires!! Ils ne comprennent pas comment ça se passe ici… Ils pensent qu’il suffit de donner un bon coup sur la table pour que les choses avancent et que justice soit faite. La seule fois où j’ai fait ça, j’ai presque été exclu pour aucun résultat ».

Un lot de consolation cependant et il est de taille : pas d’incorporation pour les sportifs d’élite. Le service militaire arménien dure deux ans et le soldat peut être envoyé sur la ligne de front avec l’Azerbaïdjan où, en dépit du cessez-le-feu, les échanges de tirs sont réguliers.

Le soleil peine à réchauffer l’air glacial. Arthur insiste pour que je ne paie rien par solidarité sportive et aussi parce que j’ai encore une longue route : « Ne t’inquiète pas, ça descend pendant une soixantaine de kilomètres et après, il ne fait déjà plus froid! »

Pour un fondeur de l’ex-URSS habitué à s’entrainer en Sibérie et marié à une fille de l’Altaï, peut-être… Mais pour moi, passer de moins vingt à moins dix, je n’appelle pas vraiment ça un réchauffement …

Le début du début du printemps?

Deuxième article sur moi dans un journal arménien

 

 Article sur moi en arménien : Il est disponible ici

 

 

«Իմ ուղևորությունը հերոսության մասին չէ». Դիմիտրի

 

Ազատուհի Խաչատրյան

Շվեյցարիայից դեպի արևելք հեծանիվով ճամփորդող Դիմիտրին փետրվարին Հայաստանում էր: Այդ ժամանակ նրա հետ  խոսեցինք հեծանիվով ճամփորդելու նրա գաղափարի, արկածների ու տպավորությունների մասին:  

Նա արդեն 19 ամիս է` ճամփորդում է՝ քշելով 21.000 կիլոմետր: Հայաստանից հետո շարունակել է իր ճամփորդությունը՝ լինելով  Ադրբեջանում, Ղազախստանում, Ղրղզստանում, Ռուսաստանում, իսկ հիմա իջևանել է Մոնղոլիայի մայրաքաղաք Ուլանբաթարում:  Ձմեռը նա որոշել է մնալ այստեղ՝ մոնղոլերեն սովորելու, հոդվածներ գրելու և ֆրանսերեն դասավանդելու համար: Այնուհետև, ուզում է ճամփորդել Մոնղոլիայով, գնալ դեպի Ռուսաստանի ծայր արևելք, Չինաստան, Ճապոնիա, Կորեա և Պալաու (հեղ. - կղզի պետություն Խաղաղ օվկիանոսում):

Ի՞նչ ֆանտաստիկ հերոսի հետ կասոցացնես քեզ:

Ինձ համար բավական անսովոր է մտածել հերոսների մասին: Ես երբեք աստղերով հետաքրքրված չեմ եղել և միշտ խուսափել եմ նրանց մասին իմանալ: Ես չեմ ցանկացել ասոցացվել հայտնի մարզիկի հետ, քանի որ նրանք սևեռված են մրցույթների և մարզումների վրա: Ընդհանրապես, իմ ուղևերությունը հերոսության մասին չէ: Այն միջոց է բացահայտելու ինքդ քեզ, այլ մարդկանց ու մշակույթների: Դա ինձ թույլ է տալիս զգալ բնությունը և մոտ ապրել միջավայրին: Եթե ես պետք է անուններ տամ, կընտրեմ մարդկանց, ովքեր  փորձել են հասկանալ ու պատմել աշխարհի մասին, ինչպես Կլոդ Լեվի-Ստրոսը կամ Էվարիստ Հուկը:

Ինչպիսի՞ն կլինի քո մասին հեքիաթը մի քանի նախադասությամբ:

Լինում է չի լինում, մի մարդ է լինում, ով ուներ ամենը, ինչը սովորական մարդն ուզում է ունենալ՝ ապրելու լավ պայմաններ, լավ ընտանիք, գեղեցիկ միջավայր... Բայց այս ամենը բավարար չէին նրա հոգին լցնելու համար: Ի վերջո, հասկանալով, որ այս կերպ ապրելով նա չի կարող երջանիկ լինել, նա որոշեց ցատկել անորոշության և վախենալու աշխարհի մեջ: Դա անելով՝ նա անմիջապես հասկացավ, որ արժեր գնալ այդ ռիսկին. բոլոր ապրումներն ու բացահայտումները, որ նա ունեցավ մի շաբաթում, անհնար էր զգալ իր նախկին կյանքի մեկ տարում:

Դիմիի հեքիաթի soundtrack-ը՝ https://www.youtube.com/watch?v=U2kn0Q3UHOc

Ի՞նչը երբևէ չէիր անի, եթե դուրս չգայիր հեծանիվով ճամփորդության

Երբ ես ապրում ու աշխատում էի Շվեյցարիայում, տուն գալիս հաճախ նայում է ատղերին: Դա մի քանի վայրկյան էր տևում, որովհետև ես ուրիշ բաներ ունեի անելու: Ինձ հետաքրքիր էր, թե երբ հնարավորություն կունենամ զգալու քամին, նայելու երկնքին, լսելու տերևների ձայնը... Հեծանիվով ես գիշերում եմ անհավատալի վայրերում, որտեղ ես կարող եմ զգալ տիեզերքի ներդաշնակությունը: Հեծանիվով դու պարզապես չես գնում մեկ տեսարժան վայրից մյուսը, դու ունենում ես անհավատալի հանիպումներ ոչ մի տեղի կենտրոնում:

Գյուղերում երկար ժամանակ անցկացնելով` դու բացահայտում ես վայրեր, որոնք ավելի արտասովոր են, քան քաղաքի կենտրոնները... Հեծանիվը ստեղծում է արկածների հսկա տարածք, քանի որ մեծ է անորոշությունը. դու իսկապես չգիտես, թե ինչի ես բախվելու քո ճամփորդության ընթացքում, իսկ մեքենայով կամ ավտոբուսով ճամփորդելիս շատ բաներ ծրագրված են:

Այսպես դու ունես շատ ժամանակ մտածելու քո մասին և ֆիզիկական ակտիվությունը ակտիվացնում է քո զգայական ընկալումները: Հեծանիվ քշելով դու կարող ես լուծել շատ խնդիրներ, բայց պետք է ամուր ու փորձված լինել, որպեսզի միայնությունը, անորոշությունն և օրվա ծրագրի բացակայությունը չխափանեն քո ուղևորությունը:

Ինչքա՞ն հաճախ ես մտածում ճամփորդությունը դադարեցնելու և տուն վերադառնալու մասին:

Ես մինչ օրս երբեք չեմ մտածել դադարեցնել իմ ճամփորդությունը: Դեռ այնքան բան կա, որ ուզում եմ բացահայտել: Օրինակ՝ ես հեռացա Հայաստանից մի քանի պատասխանով և հազարավոր հարցերով: Ես անհամբեր եմ, թե երբ տարիներ հետո կվերադառնամ այստեղ:

Ես մտածում էի տոներին գնալ իմ երկիր: Իմ քույրը որդի է ունեցել և ես նրան վաղուց չեմ տեսել: Երեկ նրա առաջին տարեդարձն էր: Իմ տատիկը երկու շաբաթ առաջ մահացավ, բայց դժվար է կարճ ժամանակում կազմակերպել Շվեյցարիա վերադառնալը:

Հիմա առաջ գնալու իմ տեմպն է դանդաղում, որպեսզի զգամ այն վայրը, որտեղ այցելում եմ: Այսպես իմ ուղևորությունը անվերջ է թվում: Մյուս կողմից, որքան երկար եմ ես մնում մի վայրում, այնքան շատ եմ դա իմ տունը համարում:

Քո բլոգը կոչվում է «Աշխարհով մեկ  հոգևոր և մշակութային շրջագայություն հեծանիվով», ի՞նչ կկոչվի քո հաջորդ բլոգը, երբ վերջացնես ճամփորդությունը:

Ես գաղափար չունեմ: Եթե ես այլ վերնագիր ընտրելու լինեմ, դա աշխարհը վերահմայելու և դրա բազմազանությունը ցույց տալու մասին կլինի: Ինձ ձանձրացրել են մարդիկ, ովքեր աշխարհը տեսնում են ռացիոնալիստական, պարզունակ կամ սպառնալից տեսանկյունից: Ես, իրոք, սիրում եմ այս կայքը, բայց անշուշտ մտածում եմ այլ տեղերում գրելու մասին: Այս պահին շատ բաներ ունեմ գրած, որ չեմ դրել իմ կայքում: Ես զգում եմ, որ դրանք շատ սպեցիֆիկ են, կրոնական և այլ լսարանի համար: Արդյո՞ք իմ կայքը ճիշտ տեղն է գրելու Արդբեջանում կեղծ ցեղասպանության թանգարանի մասին: Ես դեռ լուծում չեմ գտել սրան:

Ե՞րբ  ես տուն վերադառնալու:

Ես չեմ պլանավորել տուն վերադառնալ: Ես մտադիր եմ երկար ժամանակ մնալ նույն վայրում: Մեկ տարի ճամփորդելուց հետո դժվար է ամեն օր տեղաշարժվել, միշտ պատրաստ լինել զարմանալու և  լինել կենտրոնացած բացահայտելու համար: Ես նաև ուզում եմ ավելի շատ ժամանակ ունենալ վայրերն ավելի խորը հասկանալու համար: Սրա համար է, որ որոշել եմ այս ձմեռ անցկացնել Մոնղոլիայում:

 

 

 

 

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Commentaires

25.08.2016 14:44

Aghni

Merci beaucoup Dimitri pour ce joli texte. En le lisant, j'ai presque ressenti le froid m'envahir. Texte tres bien écrit, tant sur le fond que sur la forme. Bravo !!