Une Biélorussie si Russe et fataliste (Kms 5138, août 2015, arrivée depuis l’Est de la Lettonie, sortie à l’ouest de l’Ukraine)

La Bérézina!

 

Mon arrivée en Biélorussie se veut léthargique et vacancière. De nombreux Biélorusses profitent des chaleurs du mois d’août  pour se baigner dans leurs lacs et leurs cours d’eau. A Borisov, la Berezina, ce fleuve qui a englouti tous les espoirs napoléoniens, apparaît comme une inoffensive flaque d’eau.

Les maisons en bois peint affichent leur superbe, les arrêts de bus leurs slogans et même les immeubles, d’ordinaire si gris, à la laideur si écrasante sont parfois magnifiquement décorés. La Biélorussie semble être le paradis des peintres en bâtiment.

Une maison parmi tant d'autres ...

Elèves de l'école de peinture de Polotsk décorant des arbres

Mémorial à Polotsk

Les pays baltes ont laissé se démembrer les mémoriaux de la seconde guerre mondiale. Seul, l’Est de la Lettonie, majoritairement russophone, les laissait encore survivre et quelques timides fleurs y étaient parfois déposées. Les biélorusses quant à eux, ne lésinent pas sur les moyens pour entretenir et fleurir les symboles de la victoire. Il s’agit de remercier les grands-parents, de réaffirmer le ciment de la nation et d’extasier la fierté de l’indépendance.

Mémorial à Pinsk

"Conservez la forêt, le plus riche don de la nature"

Contrairement, à ce qu’on a pu lire ou dire, la Biélorussie n’est pas un monde à part en Europe. Certes, pour le voyageur descendant d’un vol Paris-Minsk, le choc peut être brutal. Mais en y entrant et en y sortant par les pays limitrophes,  une continuité tant économique que culturelle se fait sentir. Ce qui frappe, même en comparaison avec la Russie, c’est la faiblesse de l’entreprenariat. Je jubilais, voyant un panneau dépeignant une gigantesque agape et promettant une superbe pause dîner. Les gencives salivant, je me précipitais dans l’antre au demeurant climatisé. La caféteria n'avait rien d'autre à proposer que quelques petits pains fourrés, faisant pâle figure dans leur vitrine. Et encore, ceux-ci étaient invendables : Ils avaient dépassé la date de péremption depuis quelques heures.  A Borisov, une ville de plus de 100'000 habitants, seul trois hôtels étaient connus du grand public et le choix des restaurants était plus que limité. A Minsk, je conseillais à un aubergiste d’apposer une pancarte à son édifice qui n’en comportait aucune : «  Je ne veux pas, me répondit-il ! Si mon hôtel est clairement visible, tout un tas de fouineurs va accourir. Certains, supposément pour contrôler la salubrité, d’autres pour l’adéquation à certaines normes, d’autres encore pour quelques pots-de-vin".

Les aires de repos, les plages propices à la baignade et les abords des forêts sont souvent parsemés de détritus. Comme il est agréable de commencer l’installation de son campement par une séance de ramassage d’ordure ! Les panneaux enjoignant les citoyens à faire preuve de sens civique sont légions. L’Etat se trompe cependant de cible. J’ai eu la malchance de traverser un conglomérat pharmaceutique près de Navapolatsk. Seul mon odorat peu développé me protégeait des effluves intenables.

Le choix t'appartient

Sur la route, les panneaux de prévention se succèdent comme nulle part en Europe. A croire que l’Etat biélorusse se soucie des conditions de vie de ses concitoyens. D’autres pancartes glorifient la nation.

 

Le choix des routes est cornélien. D’un côté, les grandes routes bien asphaltées mais fréquentées et parfois étroites. De l’autre, des pistes sablonneuses, aux écriteaux parcimonieux me menant, faute de cartes suffisamment précises, à un lent égarement qui n’avait rien de bucolique. Les nuages de sables levés par les voitures, les puits asséchés et les villages léthargiques avaient perdu leur exotisme depuis longtemps. Comme couronnement à mes efforts, les rares quidams rencontrés comblaient ma déroute en m’irriguant de conseils avisés et brouillons. Heureusement, de temps à autre, une colline un peu plus aiguisée, un lac enchanteur perdu dans une vaste forêt ou le partage d’un verre de vodka me permettaient d’échapper au soleil de plomb.

 

En fin de matinée, rattrapant une charrette tirée par une mule, deux comparses m’interpellent. La discussion part sur le sens du tourisme en Biélorussie. Tout un programme ! Elle est vite arrosée par un petit vin blanc. Leur journée était facilement résumable. Ils étaient partis de leur kolkhoze plein Sud pour atteindre une petite épicerie, avant de faire une quinzaine de kilomètres Nord-Ouest pour en atteindre une autre. A l’heure de notre rencontre, ils retournaient dans la première épicerie. Ne cherchez pas là une tentative de trouver des produits à moindre coût. Outre la physionomie de l’épicière, les deux magasins se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Et le motif de leur cheminement sautait aux yeux et au nez : « Je ne vais pas te mentir, nous sommes ivre-morts » me dit l’un d’entre eux. Courtoisement, je refuse leur invitation à domicile, craignant de découvrir un désordre que les divorcés de longue date m’ont déjà si souvent démontré sous ces longitudes.

Sergei à la recherche de cartes et d'une femme!

Sur la route je rencontre un autre cycliste, le porte-bagage chargé d’objets à rapporter chez un copain : « ça attendra demain, me dit-il, je vais te montrer le chemin ; j’ai d’ailleurs à la maison des cartes qui pourraient t’être utiles ».  Se frayant difficilement un passage entre les amas d’objets hétéroclites, Sergei, déniche la carte qui allait m’être utile. Employé pendant 40 ans dans la production de tracteurs, son statut de retraité lui permet de  goûter à ce qu’il appelle une « liberté misérable ». Son employeur lui a accordé un droit d’usufruit dans le foyer de l’entreprise, où il occupe une chambre ; les sanitaires sont en commun avec sa voisine; l’agencement des chaussures et le regard craintif de mon hôte laissent transparaître chez elle une autre conception de la propreté et du vivre ensemble. Sergei s’interroge : pour  quelles raisons ne suis-je pas en mesure de trouver une nouvelle épouse ?

Le laissant à ses pensées, je me dirige vers Minsk où m’attendent Guena et Oksana, des amis de mon père rencontrés lorsqu’il était venu travailler comme médecin en Biélorussie après la catastrophe de Tchernobyl. Arrivant dans la pénombre, l’œil et les paroles méfiants de la mégère de l’immeuble contrastèrent avec l’accueil chaleureux du couple. L’appartement vit à l’heure de Paris chez cet interprète français-russe où le refrain des faits divers des radios françaises ont depuis longtemps évincé les discours élogieux des informations biélorusses. Avec lui, les détails architecturaux les plus insignifiants de Minsk deviennent des petits trésors : « La légende urbaine raconte qu’un notable avait dupé l’architecte en charge des travaux de sa maison. Pour se venger, ce dernier aurait construit ces toilettes publiques sous la forme d’un modèle réduit de la maison incriminée ».

Invariablement, faisant fi des changements politiques et économiques, Guena a continué son parcours vers l’excellence et est devenu, aux yeux de mon père, un intellectuel comme on n'en trouve plus en Suisse. Mais toutes ses connaissances se dissolvent dans une dramaturgie biblique : Ayant arraché le fruit défendu, le paradis s’est écroulé. Au lieu de choisir la fuite, Guena a choisi une bouée de sauvetage : la culture française. L’ironie s’oppose au cynisme, attendant un renversement de situation, dont seul l’eschatologie apocalyptique a le secret.

Une cabane au fond du jardin!

Pour sortir de Minsk, je zigzague entre la route et les trottoirs, cherchant la voie la plus adaptée. Une bretelle d’autoroute me gratifie de mes tentatives de trouver une petite route bucolique. Heureusement, au fil des kilomètres, la route s’amincit et les voitures se raréfient. Rencontré au bord d’un lac, Ivan avec son frère et son neveu m’ont, après quelques vodkas, escorté avec leur voiture vers une cabane de chantier pour passer la nuit. Ivan m’a aussi promis une visite de la ville de Pinsk par sa belle-sœur Olga. J’étais loin de me douter que la visite allait durer trois jours et je ne sais plus combien de toasts:"Surtout Dimouchka, n’oublie pas que le troisième toast est celui de l’amour!"

Olga à l'heure du repas!

Olga et ses amis ont une idée : «Ce que tu fais est extraordinaire. Il faut que l’on contacte la télévision locale. Et je dirai quoi ? demandais-je. Ce que tu veux, on est en démocratie ! Dans ce cas, répondis-je, je dirai que j’ai fait ce tour pour demander que votre salaire soit majoré de 60%. Oh non ! s’exclama Olga, je ne veux pas aller en prison».

Les discussions sur le fonctionnement de l’Etat biélorusse dissolvent rapidement les lumières scintillantes du show télévisé; comme par exemple la recherche d'un logement convenable pour un jeune couple (attention, accrochez-vous!). Si le logement des parents des jeunes tourtereaux est suffisamment spacieux, l’Etat s’attend à ce que tous concubinent ensemble. Prendre un crédit sans aide de l’Etat est en soi possible mais le prêt se fait à des taux allant jusqu’à 50%.  De quoi faire réfléchir même les plus audacieux! Si le logement des parents est trop petit, le couple peut se mettre dans la fil d’attente pour obtenir un logement. Notons que la situation des deux lignées parentales est évaluée par les bureaucraties ad hoc. Si une aide est refusée par la commune des parents du mari, rien est perdu. Une aide peut encore être accordée par la commune des parents de madame. Ensuite, les conditions précises dépendent du lieu. A Pinsk, le couple obtiendra  un crédit à 5% sur 40 ans (pas mal au vu de l’inflation à 18%). Un couple dont les parents habitaient un village dans les environs de Pinsk, a obtenu un terrain gratuit: à eux de construire petit à petit, en conservant les quittances des matériaux achetés et en prétendant n’avoir pas salarié de main d’œuvre pour éviter d’autres impôts.  Heureusement, pour tous les bureaucratologues en herbe, les méandres des aides étatiques au logement sont loin d’être taries.  Par exemple, un appartement, adapté à la taille de la famille, peut-être obtenu gratuitement à la condition sine qua non que le couple ait au moins cinq enfants. Notons enfin que les entreprises, disposent parfois de foyers pour leurs employés (de plus en plus rare). Le loyer y est en général moins élevé que dans les logements standards.

Mon meilleur ami en Biélorussie!

Sur une route envahie par la fumée de la tourbe brûlant au loin, je parcours mes derniers kilomètres en terre Biélorusse. Une personne m’interpelle : « c’est vrai que la Biélorussie ressemble à la Suisse ? » me demande-t-il. « C’est une bonne question repartis-je. Le mont de Dzerjinski, plus haut sommet du pays, culmine à 346 mètres d’altitude ». Cette question ne sortait pas du néant, Gérard Depardieu avait récemment affirmé "La Biélorussie c'est merveilleux, on dirait la Suisse" et d’ajouter qu'il vivrait bientôt «en Biélorussie, chez les paysans, car c'est beau et que le président est un homme sympa».

Pour le président Alexandre Loukachenko avec fatalisme et sans euphorie

Des enfants jouent, entre les photos des citoyens émérites de leur ville.

Il est vrai que les idées du président biélorusse ont le don de le rendre sympathique. Il enjoint ses concitoyens à éviter de consommer des produits étrangers parce que leur organisme n’est pas adapté (voir références ci-dessous) et de remplacer la viande par le hareng, jugé plus sain. Son passé de directeur de kolkhoze parle en sa faveur : « Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens ». Un jour, il récolte des montagnes de pommes de terre de la résidence présidentielle dont il fera don aux nécessiteux. En déplacement, on l’a vu, aux nouvelles, prodiguant ses conseils avisés, un jour sur le lait dans une ferme d’état, intéressé les jours suivant à la fabrication de tracteurs ou au contenu d’un dépôt. Et puis, il ose et innove au grand dam des conservateurs : le melon et la pastèque sont désormais produits en Biélorussie. Les rumeurs populaires sont formelles. Si quelque chose va mal dans le pays, c’est parce que le président n’a pas été mis au courant. D’ailleurs, quand il apprend les errances de ses ministres, il n’hésite pas à les réprimander.

De tels dons ne doivent en aucun cas être gaspillés pour les prochaines générations. Aussi, le plus jeune de ses fils est en rodage : rencontres d’autres présidents, participation aux défilés et aux récoltes de pommes de terre…. Cela n’est pas sans nous rappeler, une larme à l’œil, l’époque où les enfants Kennedy jouaient dans le jardin de la maison blanche.

Les candidats aux élections présidentielles de décembre 2010, mauvais perdants, à la solde de l’étranger, ont tenté de déstabiliser la république dès l’annonce de leur défaite : organisation d’émeutes de masse, attaques violentes, destruction de propreté, résistance armée face aux représentants de l’autorité… Pensez à ce que le pays deviendrait, si de tels hooligans prenaient le pouvoir. Le peuple ne s’est pas laissé flouer, par ces dangereux révolutionnaires : le meilleur de ces pseudo-candidats, Andrei Sannikov, n’a été crédité que de 2,49% des voix.

Si le président, Alexandre Loukachenko, ne laisse pas la chienlit s’imposer,  il sait aussi être magnanime. Ainsi, parmi tant d’autres, Andrei Sannikov fut gracié le 14 avril 2012, Dzmitry Us, le 1er octobre 2011 et Mikola Statkevich, le 22 aout 2015. De mauvaises langues affirment que le président a cédé aux pressions européennes. Je ne sais pas où ils vont chercher ça. Comment ne pas voir là une démonstration très chrétienne de l’usage du pardon en politique?

J’ai vu quelques opposants dans les grandes villes. Le buste allongé sur une table, la tête écrasée dans leur main, à l’image d’un élève rêveur, ils haranguaient, avec une voix inaudible et caverneuse, les rares passants s’arrêtant devant leurs pancartes, afin de leur sous-tirer quelques misérables signatures. A les voir, on croirait presque qu'il s'agit de simples figurants payés pour la besogne. Complètement absents de la scène audio-visuel, ils étaient engourdis et inactifs. Alors que le vigoureux et actif Alexandre Loukachenko récoltait 1'761’145 signatures, les meilleurs opposants ramaient sous la barre des 150'000 soutiens.

 

Un peu partout des panneaux enjoignant la population à voter

Les élections présidentielles du 11 octobre 2015 ont vu, une nouvelle fois, les opposants mordre la poussière, cette fois-ci dans le calme. Il faut croire qu'ils ont retenu la leçon des dernières élections.

Pourtant le président n’est pas populaire. Les critiques fusent, même dans les cercles populaires. Leurs impôts sont mal utilisés, leur commerce entravé, la promesse d’un revenu minimum frisant les 500 dollars n’a de loin pas été tenue.  L’inflation progresse à vue d’œil et les 18% annuel sont rarement compensé par une augmentation salariale en conséquence. Même des paysans au bout d’une piste crasseuse savent que leur vote ne changera rien, « qu'on a déjà voté pour eux ». Au lendemain des élections, mes amis me confiaient : « Les élections se sont déroulées, comme toujours, merveilleusement et comme prévu. Personne n’en avait le moindre doute, pas vrai ? ». Et ce malgré une opposition inexistante et un discours unique. Si les opposants avaient droit à une campagne électorale équitable, le président serait en grande difficulté. La popularité du président biélorusse n’est en rien comparable à celle de son homologue russe. Vladimir Poutine a été (et est encore) synonyme d’une augmentation du pouvoir d’achat des ménages et d’un sentiment de puissance national retrouvé.

Le soutien relatif au président Alexandre Loukachenko résulte d’un désir de stabilité et est un choix par dépit. On sait ce que l’on perd, pas ce que l’on gagne, d’autant plus lorsque les autres candidats sont des inconnus et que l’histoire a gratiné le pays de présidents haut en couleur : Staline, Brejnev, Andropov, ...  Les Biélorusses craignent la guerre qui a si souvent ravagé leur pays et qui est désormais à leur porte en Ukraine. Qui n’a pas perdu un parent pendant les guerres mondiales, la guerre d’Afghanistan ou dans un autre conflit inutile dont l’URSS avait le secret ?

Les apparatchiks, arrosés par le régime, soutiennent le président pour des raisons purement pécuniaires. Une jeune diplômée de Minsk, Ina montre sa satisfaction pour le régime et cherche à me faire croire qu’elle voit dans les élections, une preuve de la bonne santé de son pays. Elle n’est pas dupe, simplement une nantie désirant conserver son rang. Plus d’idéologie ou de croyance, simplement un cynisme dégoutant. Il y a deux semaines, elle était en vacances en Italie, profitait du week-end dernier pour faire son shopping en Pologne et s’envolera bientôt pour la Grèce.

 

Un autre cycliste, spontanément venu me faire causette!

 

Articles

Sputnik, Loukachenko récolte 70 sacs de pommes de terre, http://fr.sputniknews.com/international/20150817/1017589953.html, 17.08.2015.

RT, Gérard Depardieu : «Je vais tout vendre et me barrer en Biélorussie chez les paysans» http://francais.rt.com/france/6468-gerard-depardieu-veut-tout-vendre-bielorussie,  04.08.2015.

 

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